Des Larmes de Pierre
Chapitre 1
Deux berceaux.
Ce soir-là, seul les rayons de
la lune arrivaient à parvenir à l’intérieur de l’habitacle. Des goûtes de
condensation apparaissaient sur les statues qui trônaient au milieu de la
pièce, tel des larmes que la pierre stoïque n’avait auparavant jamais osé faire
couler. Au milieu, deux berceaux.
L'un d'eux fait de ronces,
sinueux, épousait parfaitement les formes de l'enfant qui se trouvait en son
sein, ses infâmes piques effleurant la pâle peau qui trahissait le jeune âge de
la petite fille. Ses petits pieds n'osant gigoter de peur de se blesser,
l'enfant restait immobile, la respiration paisible, sans sembler se soucier des
myriades de serpents qui s'échappaient de sa chevelure.
Posé à côté, tel une offrande,
le deuxième semblait lui fait de charbon incandescent. Les flashs orangés
jaillissant de la noirceur du tison laissaient trahir la chaleur qui devait se
dégager de ce foyer. Pourtant, aucun cri de douleur ne s'échappait de la bouche
minutieusement dessinée de la petite fille qui y reposait. Ses grands yeux
clignotants de fatigue, elle aussi, était d'un calme Olympien.
La pièce semblait plongée dans
une torpeur hors du temps, comme si quelque chose de très particulier
était en train de se passer. Le calme assourdissant de
l'endroit, et la beauté de la scène, rendait encore plus tragique les
événements qui s'étaient déroulés quelques heures auparavant.
Deux tragédies, réalisés d'une
façon presque chirurgicale, comme si un horloger avait été l'architecte du
jeune destin des deux enfants.
Elles étaient nées dans cette
même pièce, de mères différentes mais intrinsèquement liées. La première, ombre
anonyme courant dans le vent, vêtue d'un grand châle noir lui recouvrant les
yeux, avait donné naissance comme si elle révélait un secret. En criant, comme
un immense soulagement.
Pourtant, elle savait. Elle
savait que jamais elle ne pourrait voir le rictus joueur de la prunelle de ses
yeux. Elle savait que jamais elle ne pourrait la protéger tout en se
protégeant elle-même. Et ce cri, qui sorti de sa bouche comme un
rugissement, trahissait à la fois rage, et impuissance de savoir qu'elle venait
d'accomplir la seule chose qu'elle ne pourrait jamais accomplir pour sa
fille.
La deuxième, elle, se
démarquait de par sa chevelure ambrée aux reflets de braise qui contrastaient
avec sa peau d'ébène. Son ventre était recouvert de bandelettes de soie
imbibées d'une mixture d'aloé vera et menthe poivrée qu'elle avait faite
elle-même pour se soulager de la chaleur qui émanait du plus profond de son
corps. Elle savait qu'elle n'avait pas beaucoup de temps. Elle le sentait dans
ses entrailles. Et elle donna naissance comme elle perdit la vie, brutalement,
en silence, sans que personne ne le remarque.
La scène dans le temple était
tel un tableau, cette silhouette noire essoufflée de laquelle s'échappaient des
sanglots, tenant la main déjà froide de son amie. Ces berceaux posés là, deux
petits nids pour deux petites filles. Et un chagrin, immense, qui contrastait
avec la vie qui venait d'être révélée au monde en ces lieux.
Puis du bruit se fit entendre.
De plus en plus fort. Un vrombissement comme une foule en colère. Terrifiant,
assourdissant. La silhouette noire eut un sursaut, impromptu, ce qui eut pour
effet de faire glisser le voile de ses yeux. Elle senti la terreur. Elle senti
la fin. Les torches des gardes étaient déjà à la porte du temple quand elle
senti un éclair la transpercer. Baissant les yeux, elle n'eut que le temps de
constater la flèche qui venait de traverser son abdomen, avant que son regard
ne se pose sur les grands yeux écarquillés et pleins de vie de son enfant. Elle
vit les serpents. Ils enlaçaient la petite fille comme pour garder pour eux
cette possession qui leur était chère. Elle eut une larme, qui se transforma en
pierre avant qu'elle n'ait atteint le bas de sa joue. Au-dessus du
berceau d'épines, trônait maintenant une créature livide, figée, et craquelée,
à l'emplacement où se trouvait quelques secondes auparavant la silhouette en
noir.
Les gardes entrèrent,
s'approchant des deux berceaux. Un cadavre de feu d'un côté, et une statue de
pierre de l'autre, qui couvaient les deux enfants.
Croisant leurs doux regards, un
éclair de lumière et de chaleur jaillit, et rapidement, il ne resta des
légionnaires que leurs expressions figées dans le temps comme dans la pierre en
laquelle ils venaient de se transformer.
Trônaient donc là deux
berceaux, comme des offrandes à des Dieux qui semblaient les avoir oubliés, et qui
renfermaient à présent ce qui allait s'avérer être les deux plus grandes armes
que la Grèce ai connu.